Notice descriptive

Camondo, banque.

  • Camondo, banque.
  • Présentation du contenu

    L’inventaire des archives et l’organisation comptable

    L’inventaire réalisé autrefois par Georges Bourgin, s’il sépare les livres synthétiques des livres analytiques, mélange les volumes rédigés à Constantinople et ceux qui sont rédigés à Paris. C’est une organisation comptable classique avec une centralité autour de livres juridiquement obligatoires certifiés et documentés par la mise en liasse de la correspondance et avec la création ancienne de livres particuliers nécessaires et adaptés aux exigences de l’entreprise.

    1. Quelques définitions

    La comptabilité repose sur le principe fondamental qui affirme que « qui reçoit doit un avoir à la personne qui livre et qui livre a un avoir chez la personne qui reçoit » (Leautey, Eugène, Comptabilité de banque et de bourse, Béranger, Paris, 1910, p. 23.) sachant que « la somme portée au débit du compte qui reçoit est la même que celle portée au crédit du compte qui livre » (Quintard, Édouard, Comptabilité et tenue de livres, Armand Colin, Paris, 1913, p. 47 et p. 57.) . On fait ressortir la dualité de cette opération en mettant en évidence dans chaque compte dans le libellé d’une opération, le titre du compte qui est dans cette opération, contrepartie du compte sur lequel on écrit. Le titre de ce compte contrepartie est précédé de la proposition « à » quand il est créditeur c’est-à-dire quand on écrit au débit du compte qui a opéré avec lui, il est précédé de la préposition « par » quand il est débiteur, c’est-à-dire quand on écrit au crédit du compte contrepartie. Une comptabilité à partie double est celle pour laquelle le comptable tient non seulement les comptes des tierces personnes avec lesquelles il est en relation, mais aussi son propre compte ou celui qui lui demande de tenir ses écritures. Désormais, il faut définir une liste de mots dont l’usage est fréquent en comptabilité (Les définitions sauf indications contraires sont issues de Mézières, Édouard, Comptabilité : cours théorique et pratique, Mathias, Paris, 1852, 408 p.). 

    • Avoir : ce mot, placé en tête de la partie droite des comptes du grand livre, indique ce qu’on doit aux personnes pour lesquelles les comptes sont ouverts.
    • Balance : on obtient la balance d’un compte en comparant, entre elles, les deux parties dont il se compose. L’excédant de l’une de ces parties sur l’autre est ce qu’on nomme balance ou solde de compte.
    • Comptabilité : c’est l’ensemble des comptes et des livres d’une administration publique ou particulière.
    • Compte : on appelle compte un tableau intitulé du nom d’une personne, ou d’une chose personnifiée et présentant la situation de cette personne ou de cette chose par rapport à celui qui tient le compte (Quintard, Édouard, Comptabilité et tenue de livres, Armand Colin, Paris, 1913, p. 49.). Les comptes sont personnels ou fictifs. La première classe comprend ceux des personnes avec lesquelles on fait des affaires à terme. La seconde, représente la personne pour laquelle les livres sont tenus. Un compte personnel ou fictif se compose de deux parties : le débit et le crédit.
    • Créances : ce sont des dettes actives. Une somme due est une créance pour celui à qui on la doit.
    • Créancier : le créancier est celui à qui l’on doit; celui à qui il appartient une créance.
    • Crédit : les articles portés au crédit d’un compte indiquent ce qu’on a reçu de la personne pour laquelle ce compte est ouvert. Le crédit forme la partie droite d’un compte; le débit en est la partie gauche. Ouvrir un crédit à quelqu’un, c’est prendre l’engagement de lui fournir des fonds jusqu’à la concurrence d’une certaine somme.
    • Créditer : créditer un compte personnel, c’est écrire qu’on a reçu de quelqu’un. Créditer un de ses comptes généraux, c’est écrire que ce compte a donné.
    • Créditeur : créditeur se dit des comptes et non des personnes. Un compte créditeur est celui qui a un excédant de crédit sur le débit. Dans la balance générale des livres, les comptes créditeurs sont ceux à qui l’on doit.
    • Débit : on place ce mot en tête de la partie gauche des comptes du grand livre pour indiquer les sommes dues par les personnes pour lesquelles les comptes sont ouverts.
    • Débiter : débiter un compte personnel, c’est écrire que quelqu’un doit. Débiter un des comptes généraux ou fictifs, c’est écrire qu’on a reçu de quelqu’un. Les comptes personnels sont débités des ventes à terme et des valeurs données en paiement. Les comptes fictifs sont débités des marchandises et des valeurs qu’on reçoit.
    • Débiteur : le débiteur est celui qui doit. Les comptes débiteurs, dans la balance générale, sont ceux dont le débit excède le crédit.
    • Dette : obligation, engagement pris par le débiteur envers le créancier. Les dettes sont actives ou passives. Les dettes actives sont celles dont on est créancier ; celles qui constituent des créances à recouvrer. Les dettes passives sont celles dont on est débiteur.
    • Doit : ce mot est placé en tête de la partie gauche des comptes du grand livre, il indique ce que doivent les personnes pour lesquelles les comptes sont ouverts.

    Ainsi, débiter un compte, c’est constater par une inscription au doit du compte que le titulaire du compte a fourni une certaine valeur à la maison qui tient le compte. Créditer un compte, c’est constater par une inscription à l’avoir, que le titulaire du compte a fourni une certaine valeur à la maison qui tient le compte. Le solde du compte est la différence entre le total des capitaux portés au doit et le total des capitaux portés à l’avoir. C’est pourquoi, les comptes registrent les actifs dans le devoir et le passif et le net dans l’avoir. En conséquence, les comptes ouverts aux correspondants débiteurs, qui regardent l’actif, le doit signifie une augmentation et l’avoir une diminution, alors que les comptes ouverts aux correspondants créditeurs et au propriétaire qui regardent le passif et le résultat net, le doit signifie une diminution et l’avoir une augmentation pour la valeur de l’objet auquel le compte est ouvert (Bellini, Clitofonte, Scrittura doppia americana detta a Giornale Mastro, Milan, Hoepli, 1909, p. 18.).

    Enfin, il faut aussi savoir que souvent les comptes de correspondant chez un banquier comme Camondo ne sont pas ouverts à un client, mais aux personnes (généralement un banquier ou un courtier) avec lesquels ils sont en relations d’affaires et qui le cas le plus habituel les représentent sur les places nationales ou étrangères où ils n’ont pas de succursales (Burckhardt, A., La grammaire de la Banque : Traité pratique des opérations de Banque, Flammarion, Paris, 1928, p. 33). De sorte que les comptes « effets à recevoir » et « effets à payer » sont débités ou crédités du montant nominal des effets entrés ou sortis. La différence entre leur valeur nominale et la valeur en échange de laquelle ils sont entrés ou sortis, différence qui constitue un bénéfice ou une perte, est portée dans un compte de résultats intitulé « agio ». C’est pourquoi les comptes titres sont débités au prix d’achat et crédités au prix de vente : la différence en plus ou en moins représente un bénéfice ou une perte (Quintard, Édouard, Comptabilité et tenue de livres, Armand Colin, Paris, 1913, p. 63.).Les archives Camondo présentent différents types de registres comptables. Un premier groupe est composé par les journaux, les grands livres et la caisse et un second groupe, spécifique, est organisé autour de l’administration des immeubles, des titres et des dépôts. On se trouve donc devant une organisation comptable de type commercial traditionnel.

    2. Les livres synthétiques

    Ce sont des livres qui permettent au banquier de suivre, en attendant que soient faites les situations d’ensemble, la position des éléments de passifs et d’actifs. En particulier, il peut suivre la situation des débiteurs et le recouvrement de ses créances et surveiller son chiffre d’affaires, ses dépenses et ses recettes (Les explications techniques sont issues de Thellot, Julien, La tenue des livres en partie double (commerce, banque et bouse), J.Torrent, Alger, 1892, p. 439.).

    Les journaux

    Le journal est un rouage comptable où sont amoncelés tous les matériaux de la comptabilité en vue d’un classement ultérieur. Dans le journal, les colonnes de registre numéro un et numéro deux sont destinées à recevoir les numéros des pages (ou folios) du grand livre où les écritures figurant au journal sont reportées ; la colonne numéro un reçoit les numéros des folios des comptes débiteurs et la colonne numéro deux reçoit les folios des comptes créditeurs. Les colonnes numéro trois et quatre contiennent le libellé des articles et le nom des comptes qui doivent être débités ou crédités, dans la colonne numéro trois, on place le nom des comptes débiteurs et dans la colonne numéro quatre ceux des comptes créditeurs. La colonne numéro cinq reçoit des sommes partielles, la colonne numéro six reçoit les totaux des comptes débiteurs et la colonne numéro sept ceux des comptes créditeurs.

    Les grands-livres

    Le grand livre est un registre dont la réglure présente deux parties identiques. La partie gauche reçoit les opérations portées au débit du compte et la partie droite reçoit les opérations portées au crédit du compte. Chaque partie du compte comprend au moins quatre colonnes : la première pour les dates, la deuxième pour l’inscription des folios du journal, la troisième est réservée aux libellés et la quatrième aux sommes. Le numéro placé à l’angle de droite de la page est le numéro du folio du grand livre. Ce livre est une copie du journal faite dans un ordre méthodique. On n’y inscrit que ce qui figure sur le journal, seulement tous les articles confondus sur ce dernier livre sans autre ordre que celui des dates, sont reportées au grand livre par ordre de compte. On connaît ainsi durant un exercice la situation individuelle de chaque compte du plan comptable. Chaque grand livre est précédé d’un répertoire alphabétique des comptes : ce répertoire est une suite de titres de compte avec indication du folio correspondant dans le grand livre.

    La caisse

    Le livre de caisse est essentiel pour un banquier. Dans le grand livre se trouve le compte général « caisse » qui résume le livre de caisse. Ce compte général dans le grand livre, dont le doit et l’avoir sont synonyme de recettes et de paiements, est débité des sommes qui lui sont versées par le crédit de ceux qui effectuent ces versements et il est crédité des sommes qu’il paie par le débit de ceux qui reçoivent ces mêmes sommes. Ce compte commence toujours par une encaisse ou débit et ne peut jamais présenter un solde créditeur : on ne peut dépenser plus qu’on ne possède ou qu’on a reçu. Après avoir indiqué la date de chaque article, chacun des articles inscrit dans le livre de caisse ou plus simplement « caisse » doit commencer par la dénomination du compte que le comptable est appelé à débiter ou à créditer, vient ensuite la cause de la recette ou du paiement. Tous les jours, à la fin de la journée, la balance du livre doit être faite. Pour cela, on additionne les recettes et les dépenses et la différence entre les deux totaux constitue un solde qui doit se trouver dans la caisse. Le caissier a pour principe absolu de ne faire aucun paiement sans qu’il lui soit remis une pièce comptable à l’appui : à la fin de la journée, ces pièces sont classées d’après leur ordre d’inscription et numérotées une à une suivant une série reproduite sur le livre caisse.

    3. Les livres analytiques

    Ce sont des livres qui reprennent dans le détail les comptes généraux des grands livres. Chez les Camondo, on observe trois sortes de livres analytiques.

    Les immeubles

    Les livres qui renseignent sur l’administration des immeubles sont des livres qui présentent la gestion du patrimoine immobilier urbain des Camondo à Constantinople. On y retrouve des journaux et des grands livres. Ces livres informent sur le coût des loyers et sur le coût pour l’entretien (réparations ordinaires ou extraordinaires) de chaque élément patrimonial.

    Les titres

    Les livres des titres sont des livres classés selon un numéro progressif. À chaque numéro correspond le nom du titre et les conditions d’émission avec la typologie de l’action (normale ou privilégiée) ou de la participation. À l’entrée, figurent les conditions de participation à l’émission pour Camondo ou ses associés (souvent Alfassa ou Halfon) avec la date de jouissance ou le montant de la prime ou le nombre de coupures : souvent, il s’agit de participation à un syndicat ou de négociations faites par des courtiers de confiance (Ellissen ou Hirsch). Sont indiqués les références de la note de souscription et le lieu où sont déposés les titres (souvent BNP ou Crédit lyonnais ou London joint stock bank limited), outre le nombre et les versements de souscription. À la sortie, il y a une vente souvent faite par le syndicat émetteur ou un virement à titres ou un amortissement ou une liquidation.

    Les grands livres des titres sont divisés en titres avec un rapport fixe (obligation, fonds d’états ou de villes) et en titres avec un rapport irrégulier (action ou participation). Le grand livre des titres, actions et parts diverses (fondateurs ou bénéficiaires) présentent la situation annuelle ou pluriannuelle d’un titre ou d’une action ou d’une participation. Dans l’en-tête du compte, on rappelle la valeur nominale de l’action, la valeur à la libération et la date d’échéance des dividendes ou des coupons. À l’entrée, figurent après la date et le renvoi au numéro du titre, le nom des divers propriétaires, avec le nombre d’actions ou de parts et le nom du syndicat ayant émis le titre (souvent Crédit lyonnais ou BNP et parfois Compagnie française des mines d’or). À la sortie, après la date et le renvoi au numéro du titre, on trouve le nom des nouveaux propriétaires. Le grand livre des titres, fonds d’état et obligation présente une disposition identique. Les grands livres des titres en dépôts qui incluent titres à intérêt fixes et à intérêt variable rappelle le numéro du titre du livre des titres, le nom du syndicat émetteur et la variation (avec dates) du nombre d’action achetées ou vendues. On peut affirmer que les livres des titres s’intéressent d’abord aux titres et aux syndicats qui ont émis ces titres.

    Les dépôts

    Les livres des dépôts sont des livres classés selon un numéro progressif. À chaque numéro correspond le nom du propriétaire et ensuite le nom et le type du titre en dépôt. À l’entrée est notée après la date la provenance et à la sortie après la date est indiqué le nom de l’acheteur ou le type d’opération qui transforme un achat à terme ou à prime en achat définitif outre les reports. S’il s’agit d’obligation, sont également notés les numéros des coupons et s’il s’agit d’achat ou de ventes par lots sont aussi signalés le nombre et le numéro de chaque composant du lot.

    Le grand livre des dépôts, annuel ou pluriannuel, reprend pour chaque déposant, la composition détaillée par titre de son portefeuille. À l’entrée après la description de chaque titre, il y a un renvoi au numéro de titre du livre des dépôts avec le rappel de la provenance. À la sortie selon le type de titre, on indique une libération, un amortissement, une liquidation ou une vente. On peut affirmer que les livres des dépôts s’intéressent d’abord aux déposants c’est-à-dire aux personnes individuelles qui achètent ou revendent des titres après que la banque Camondo a acheté un lot de titres à répartir entre ses associés et quelques clients.

    La correspondance

    L’ouverture du courrier pour une banque est essentielle : toutes les lettres sont inscrites sur un livre réservé pour cet usage et numérotées suivant leur ordre d’inscription. Elles parviennent ensuite au banquier qui les ouvre et les remet au chef de la correspondance après en avoir retiré les billets à ordre, les coupons ou les traites. Chaque opération à faire et à noter dans les livres est ensuite envoyée aux chefs des différents bureaux correspondants et en fin de journée, les lettres sont enfin classées après un pointage où l’on a vérifié que toutes les lettres arrivées sont bien revenues. Alors seulement, elles sont cotées par ordre de date dans des chemises portant le nom ou le numéro du correspondant. Un répertoire par correspondant précède chaque chemise chronologique.

    Révision archivistique

    Fondée en 1804 ou en 1832 à Constantinople, la banque Camondo ajoute à son siège de Galata, une agence à Paris en 1868. Puis, en 1894, le siège se déplace à Paris, mais l'agence de Galata est maintenue. En conséquence, les livres comptables conservés appartiennent aux deux agences.

    Quand ils relèvent du siège ou de l'agence de Galata, ils sont rédigés en Ladino (langue judéo espagnole), puis à partir de 1858 en Italien et après 1888 en Français. Quand ils relèvent de l'agence puis du siège de Paris, ils sont rédigés en Français. La langue du titre du livre ne correspond pas toujours à la langue utilisée dans le livre. Jusqu'en 1894, l'agence de Galata conserve des activités bancaires multiples, complexes et internationales, puis elle redevient une petite banque commerciale qui s'occupe de gestion immobilière alors que l'agence de Paris ajoute à ses activités de banque d'affaires et de spéculation, les anciennes activités financières de l'agence de Galata. Pratiquement, les volumes parisiens augmentent leurs nombres et leurs folios à mesure que les volumes de Galata diminuent et deviennent pluriannuels.

    C'est pourquoi, le plan du classement des livres synthétiques, conçu par Georges Bourguin, dans une longue première série, accumule les livres Stambouliotes et Parisiens, alors que la seconde série courte ne recueille que les livres Stambouliotes amputés de leurs activités internationales. En revanche, les livres analytiques opposent la série Stambouliote de l'administration des immeubles aux séries Parisiennes de l'administration des opérations financières (titres et dépôts).

    Une réorganisation du plan de classement pourrait donc comprendre : la série des livres synthétiques Stambouliotes (journaux et grands-livres), la série des livres synthétiques Parisiens (journaux, grands-livres et caisses), la série des livres analytiques Stambouliotes (immeubles) et la série des livres analytiques Parisiens (titres et dépôts) flanquée des liasses de correspondance. Afin de différencier les livres Stambouliotes des livres Parisiens en gardant le plan de classement et la cotation de Georges Bouguin, il a été ajouté sur l'inventaire le nom de l'agence (Galata ou Paris). Les critères pour séparer les livres Stambouliotes des livres Parisiens se fondent essentiellement sur la typologie des comptes, le libellé des articles et le choix de la monnaie (Piastres et Lires Turques pour les livres Stambouliotes et Francs Français et Livres sterling pour les livres Parisiens).

  • Historique de la conservation

    Le fonds 1 AQ, qui ouvre la série des fonds économiques des Archives nationales (site parisien), est entré par don en 1939. Le dossier d'entrée ne comporte aucun document d'information juridique.

    La date d'entrée aux Archives nationales est très émouvante. En 1939, à l'approche de la guerre, Léon Reinach, époux de Béatrice de Camondo, cherche à empêcher la spoliation des collections familiales : immeubles, meubles, oeuvres d'art, archives familiales et dossiers d'affaires. En 1942 et 1943, Béatrice qui a divorcé de Léon Reinach et sa fille Fanny, puis Léon et Bertrand sont déportés à Auschwitz où ils sont assassinés par les nazis entre 1943 et janvier 1945. Cette tragédie met fin à la dynastie des Camondo.

    Les Archives nationales du monde du travail ont procédé en 2008 à l'ouverture des lourds registres bancaires fermés par des serrures dont les clefs avaient disparu. Le fonds a été pointé avec l'inventaire d'origine de Georges Bourgin. Les registres ont été nettoyés, reconditionnés et rangés en magasin à plat. Durant l'été 2009, Madame Marie-Lucie Rossi, docteur en histoire, a pu travailler sur le fonds de manière approfondie, en révisant la totalité de l'inventaire pour aboutir à la présente version.

  • Modalités d'entrées

    Don de Léon Reinach, archives privées appartenant à l'Etat.

    Date d'entrée : 1939 (entrée n° 601 - ancienne cotation AB XIX 2289 à 2634).

  • Statut juridique
    Archives privées
  • Présentation du producteur

    La banque Camondo : histoire et fonds d'archives

    par Madame Marie-Lucie Rossidocteur en histoire

    Introduction

    La banque Camondo, entre 1804 et 1925, est une haute banque d’affaires dont l’espace géographique d’intervention progressivement s’élargit de Constantinople et Vienne à Paris et jusqu’à New York et Pékin. D’abord, ce sont des commerçants de matières premières et des joailliers devenus grands argentiers de l’Empire Ottoman (1834-1868). Puis, après la perte de leur position de monopole auprès du Sultan avec l’occidentalisation des sources de financement des emprunts, ce sont des participants aux emprunts étatiques Autrichiens, Danubiens et Ibériques (1868-1888). Enfin, après l’emprise industrielle des Allemands dans l’Empire Ottoman, ce sont désormais (1888-1925) des sous-participants aux emprunts Latino Américains, Nord Américains, Russes et coloniaux Français (Indochine et Afrique du Nord et Australe) ou Anglais (Chine et Inde) depuis les bourses de Vienne, de Paris et de Londres.

    Il faut observer que ce sont des emprunts nationaux qui sont toujours doublés dans ces pays de parts de fondateurs dans le développement des moyens de transport (maritimes, chemins de fer, tramways) et dans les sociétés d’études et d’exploitations des mines et du pétrole. En outre, dans les pays Européens, puis aux Amériques et en Extrême-Orient, on note en plus de l’investissement constant dans les sociétés des transports et des moyens de communication (chemins de fer, tramways, câbles sous-marins, câbles téléphoniques ou automobiles pour livraison), un attrait pour les sociétés d’équipement de la ville (eaux, éclairage et chauffage au gaz) face à une plus timide participation dans les sociétés industrielles nouvelles (industries chimiques ou électriques), même si après 1908, ces dernières accentuent leur présence. Tout au long de la période (de 1834 à 1925), il faut aussi mettre en valeur une adaptation de la stratégie financière face aux multiples bouleversements militaires et diplomatiques et aux possibles évolutions techniques attractives (équipement urbain ou infrastructures nationales) alors que l’organisation comptable demeure sans aucun changement. Ce double mouvement est sans doute le résultat de l’écoute des informations issues des réseaux d’informations traditionnels (monde diplomatique et associés financiers et bancaires permanents dans les principales places d’investissements ou de la demande) plus que des résultats de l’exploitation des comptes financiers ou de comptes d’exploitation. Le plan comptable et le chiffre pour cette très haute banque de spéculation même ouverte aux titres et aux dépôts de titres ne semblent pas encore constituer un outil de décision et encore moins une aide à la réorganisation de l’entreprise.

    Sans doute faut-il aussi, pour expliquer cette mondialisation sensible dès 1888, mettre en lumière deux faits : la stabilisation et donc le moindre attrait pour la « Dette Turque » et la nouvelle alliance entre les « nouvelles banques de dépôts » et la « vieille haute banque » mettant ainsi au point une « nouvelle haute banque » composée essentiellement de participations à des syndicats financiers et d’affaires.  Les Camondo sont donc passés de la banque commerciale d’Ancien Régime ancrée sur des territoires régionaux aux ressources complémentaires (Méditerranée et Mitteleuropa) à une nouvelle haute banque mondialisée opérant à partir de Vienne et de plus en plus depuis Paris et Londres. Cette continuité de la maison dans la banque d’affaires conduira à la création d’un fonds d’archives comptables avec une organisation simple et immuable où il manque toutefois les papiers et dossiers d’études des affaires projetées ou réalisées.

    La famille et la banque

    La famille Camondo a été surnommée les « Rothschild de l’Est » ou « de l’Orient », mais ce titre reste insuffisant et n’embrasse que l’origine de leur activité. En effet, jusqu’en 1832, les Camondo sujets du Saint Empire Romain Germanique grâce aux Conventions avec la Sublime porte peuvent commercer librement en Turquie. Puis, ils deviennent en 1804 ou en 1832 depuis Galata les banquiers de l’Empire Ottoman jusqu’au financement de la guerre de Crimée. Avec l’introduction de capitaux occidentaux après 1863, ils doivent pour maintenir une bonne activité à Constantinople élargir leurs relations à Londres, à Vienne et à Paris où ils s’installent en 1869. Par la même occasion avec le baron Maurice de Hirsch, la banque Bischoffsheim et la banque Oppenheim, ils participent aussi à de grandes affaires (Chemins de fer) entre Vienne et Constantinople et intègrent par ricochet la haute banque parisienne. Leur comptabilité tenue en Ladino (langue judéo hispanique traditionnelle), puis en Italien (langue des commerçants juifs pro-occidentaux à Galata) est désormais rédigée en français à Paris.

    1. Les origines

    Les Camondo sont des juifs Sépharades. Chassés par l’Inquisition, ils sont expulsés d’Espagne en 1492. On les retrouve dans le ghetto de Venise, puis dans les environs de Constantinople (Ortaköy) en 1758. En effet, depuis le traité de paix de Passarowitz signé entre l’Empereur Charles VI et le Sultan Ahmed Khan en 1718 et confirmé en 1739 par le traité de Belgrade, Autrichiens ou Turcs peuvent résider et faire du commerce à Vienne et à Constantinople (Malino, Frances and Sorkin David,From East and West: Jews in a Changing Europe 1750-1870, Wayne State University press, Detroit, 1998, 339 p.). Aussi, en 1775, Haïm Camondo possède un négoce dans la capitale ottomane, séjourne à Chypre et réside dans le port autrichien de Trieste tandis qu’à la même période Abraham Camondo est l’un des notables de la communauté Turque de Vienne. Après le retrait des Autrichiens de Venise en 1798, les Camondo s’installent à Constantinople . Haïm a trois enfants, Isaac, Ventura et Abraham Salomon (1781-1873). Le 25 mai 1804, Abraham Salomon épouse Clara Levy, dont il a un unique enfant, Salomon Raphaël (1810-1866). Isaac augmente la fortune familiale en se faisant « saraf » (changeur et prêteur) en suivant l’exemple d’autres familles juives puisque jusqu’à la modernisation et l’occidentalisation du système financier Ottoman (soit la reconnaissance légale par un régime musulman du prêt à intérêt à partir de la seconde moitié du XIXe siècle), la création et la tenue de commerces et de banques est encore souvent aux mains de minorités non musulmanes protégées par les systèmes juridiques occidentaux d’où elles proviennent (Kuran Timur, The Logic of Financial Westernization in the Middle East,Journal of Economic Behavior and Organization, Vol. 56, p. 593-615, April 2005.).

    Après la disparition d’Isaac en 1832, sans enfants, c’est Abraham Salomon qui sera le seul héritier de la banque Isaac Camondo et Compagnie. Abraham Salomon ,bien que « Juif de cour », parce qu’issu de milieux de négociants, n’a pas cessé de participer au commerce. Ainsi, il est propriétaire (le sultan Abdul Aziz lui accordant l’autorisation de posséder de l’immobilier) de nombreux magasins à Galata et à Üsküdar, d’une fabrique de brique et d’une fabrique d’huile à Çorlu. Pour lui, comme pour les autres négociants banquiers, il s’agit d’acheter, puis de revendre des produits susceptibles d’apporter d’assez gros bénéfices : des blés ou du sucre ou des tabacs. Le plus souvent, il monte l’opération en compte commun avec une ou plusieurs autres personnes. Il se forme alors une sorte d’association dont il peut être un membre quelconque qui partage les risques de l’affaire avec ses associés : il multiplie ainsi les affaires et souvent les mariages avec les Allatini, les Alfassa, les Halfon et les Alberti. Parfois, il prête l’argent nécessaire à l’achat contre une commission et un pourcentage sur l’argent ainsi avancé ou il s’engage seul dans l’affaire qu’il fait alors exécuter par un commissionnaire. Après avoir largement financé la guerre de Crimée (1853-1855), Abraham Salomon Camondo est décoré de l’Ordre de l’?ftihar par le sultan Abdul Hamit II. Dans les mêmes années, il est désigné par la communauté autrichienne de Constantinople pour la représenter aux noces de l’empereur François-Joseph de Habsbourg avec Elisabeth de Bavière. Proche également du grand vizir Fuat Pacha, Abraham Salomon Camondo a une influence certaine dans la politique impériale.

    Ces premiers créanciers de l’Empire dès la première moitié du XIXe siècle ont pignon sur rue entre le pont et la tour de Galata, sur la colline de Péra. Les familles grecques Zarifi, Baltazzi et Mavrogordato, arménienne Dadyan et juive Camondo y font fortune : elles prêtent à 12 et 18% d’intérêt l’argent emprunté en Europe à 3 ou 4%. En effet, si on analyse l’organisation et les techniques financières de ces banquiers de Péra et de Galata, on remarque depuis au moins 1840 un ancrage dans le réseau international de la haute finance. Déjà, ils développent l’internationalisation des instruments financiers de la Dette Publique Intérieure Ottomane pour faciliter l’intégration de Constantinople dans les marchés des capitaux d’Europe Occidentale (Pepelasis Minoglou, Ioanna, Ethnic minority groups in international banking: Greek diaspora bankers of Constantinople,Financial History Review, 2002, 9, p. 125-146.). Aussi, vers 1860, la concurrence des grandes banques européennes commence à faire baisser les taux : l’« Ottoman Bank », fondée par les Anglais en 1856, devient en 1863 la « Banque Ottomane », banque franco-anglaise à capitaux majoritairement français alors qu’en 1864 sous la présidence d’Aristide Baltazzi, Alberti, Zarifi et Camondo s’associent pour créer la « Société Générale de l’Empire Ottoman ». Si les institutions ottomanes de finances privées et publiques grâce à leur pragmatisme et à leur flexibilité conservent leur lignage islamique, l’influence des institutions financières européennes commence à croître sous la direction de la bureaucratie centrale (Sevket, Pamuk, The evolution of financial institutions in the Ottoman Empire, 1600-1914,Financial History Review, 2004, 11-1, p. 7-32.).

    Après 1865, la concurrence s’accentue dans la communauté bancaire stambouliote : on y observe une lutte acharnée contre la « Banque Ottomane » jusqu’alors toute-puissante, mais fragilisée par la faillite du « Crédit Immobilier » des frères Pereire en 1867. Elle est menée par la « Société Générale de l’Empire Ottoman » où les tensions deviennent très vives entre les Zafiri (soutenus par les Ralli et les Zografos) et les Camondo et par le « Crédit Général Ottoman » créé par Théodore Tubini et où les associés grecs de la « Société Générale de l’Empire Ottoman » sont aussi partie prenante et soutenus par la « Société Générale » de France. Aussi, en 1869, le nouvel emprunt turc échappe en partie aux banquiers de Galata : le « Comptoir d’escompte de Paris » emporte le contrat, même s’il en rétrocède une partie à la « Société générale de l’Empire Ottoman ». Après cette trop âpre confrontation, les Camondo prennent leurs distances avec leurs associés grecs et se rapprochent des Franco (marranes originaires de Livourne) qui désiraient réformer l’instruction dans les écoles juives et y introduire le turc et le français, afin de faciliter l’avancement des Juifs dans l’administration (de langue turque) ou le commerce (de langue française) et qui, depuis 1865, s’étaient placés sous la protection des Italiens de Galata.En 1867, le royaume Lombardo-vénitien devint une possession Italienne et les Camondo passent de la nationalité Autrichienne à la nationalité Italienne : le roi Emmanuel II de Savoie, reconnaissant pour la participation d’Abraham Salomon Camondo au financement des chemins de fer lombards, lui donne le titre de comte. En 1869, la famille de Camondo, s’installe à Paris, mais maintient le siège de sa banque à Galata. Considéré comme le fondateur de la « dynastie », Abraham Salomon meurt à Paris en 1873 : il sera enterré en grandes pompes à Constantinople dans le mausolée familial d’Haskeuy.

    2. Les frères Abraham Behor (1829-1889) et Nissim (1830-1889)

    Fils de Salomon Raphaël, Abraham Behor est né à Constantinople en 1829. En 1847, il épouse Regina Baruch (1833-1905), fille du banquier Joseph Baruch, dont il aura deux enfants : Clarisse et Isaac. Clarisse née à Constantinople en 1848 et morte à Paris en 1917 a épousé à Constantinople en 1867 Léon Alfassa, né à Andrinople en 1849 et mort à Paris en 1920, banquier, fils de Nissim Alfassa et de Rachel Halfon. Les Alfassa et les Halfon sont les associés des Camondo dans les principautés danubiennes et allemandes. En 1869, Abraham Behor s’établit à Paris au 61 rue de Monceau : sa demeure est le cadre d’une hospitalité fastueuse et il y accumule des collections de peintures anciennes et contemporaines et des mobiliers variés. Depuis Paris, il continue à créer et à entretenir de nombreuses activités philanthropiques à Constantinople où, en 1864, il avait été nommé Président du comité central de l’Alliance Israélite Universelle.

    Nissim, frère d’Abraham Behor, est né à Constantinople en 1830 : il épouse Elisa Fernandez en 1855, née à Salonique en 1840, décédée à Paris en 1910, fille de Moïse Fernandez et de Mosa Allatini dont il a un fils, Moïse. Les Fernandez et les Allatini sont les associés des Camondo dans le monde hispanique et italien. Lorsqu’il s’installe à Paris en 1869 au 63 rue de Monceau, dans un hôtel particulier, il reçoit lui aussi avec faste et assemble des collections de peintures et d’objets d’art. Il revendique aussi la charge de représenter les intérêts de l’Italie, prend la présidence de la Société de Bienfaisance Italienne de Paris et préside le Comité Italien à Paris lors de l’Exposition Universelle de 1889.

    Tout en gardant des liens étroits avec l’Orient et la Méditerranée, la préoccupation majeure des Camondo est de s’intégrer à la haute société parisienne : cette volonté trouve son aboutissement lorsqu’ils sont décorés en 1882 de la Légion d’honneur. Les deux frères meurent en 1889 (Pour les événements familiaux voir Seni, Nora et le Tarnec, Sophie,Les Camondo ou l’éclipse d’une fortune, Actes Sud, Paris, 1997, 318 p.).

    Sous leur impulsion, la banque « I. Camondo et Cie » participe à de nombreuses affaires dans un espace encore dominé par l’attrait du monde ottoman parce que la Banque impériale ottomane (Autheman, André,La Banque impériale ottomane, Comité pour l'Histoire économique et financière de la France, Paris, 1996, 294 p. ; Clay, Christopher, The Imperial Ottoman Bank in the Later Nineteenth Century: A Multinational "National" Bank", in Geoffrey Jones,Banks as Multinationals, Londres, 1990.) joue durant encore de longues années, les rôles de Banque d’État et de Trésorier public (elle accomplit l’émission de billets et met à disposition du Trésor public les avances nécessaires), d’autant plus que le Gouvernement élargit en 1875 ses prérogatives en lui confiant le contrôle du budget de l’État, l’assainissement de la situation financière de l’Empire et le rôle d’intermédiaire obligé lors de l’endettement public. Après les guerres balkaniques durant lesquelles la Banque ne cesse d’aider l’État au travers d’avances multiples, la « Dette de l’Empire », renégociée au Congrès de Berlin, est confiée en novembre 1881 à une nouvelle administration : le conseil et la banque de la Dette Publique Ottomane afin de garantir le service des emprunts. Pour rembourser les porteurs de titres, cette administration se voient confier la perception des taxes indirectes sur les alcools et la pêche et la gestion des monopoles du sel et du tabac, ce qui vers 1886 permet le rétablissement du crédit de l’Empire et rend plus facile le placement des emprunts turcs à l’étranger. En conséquence, la Banque Impériale Ottomane diminue ses engagements envers le Trésor et commence à développer une double activité de financement de l’économie turque et de promotion d’entreprises : désormais, c’est le chemin de fer qui va engranger plus de la moitié des investissements européens. Les « Chemins de Fer de la Turquie d’Europe » sont créés en 1869 sur des capitaux belges, autrichiens et français. C’est pourquoi, le prêt aux États et la participation à la construction et aux jonctions des chemins de fer s’étendra aussi pour les Camondo aux périphéries ottomanes vers les Balkans, le Danube, l’Égypte et les États sous la souveraineté des Habsbourg.

    3. Les cousins Isaac (1851-1911) et Moise (1860-1935)

    Isaac de Camondo, cousin germain de Moïse et de neuf ans son aîné, est né à Constantinople en 1851. Il a 18 ans lorsqu’il arrive en France avec ses parents en 1869. Très vite associé aux affaires familiales, il accepte à Constantinople la charge de Consul Général de Turquie de 1891 à 1895. C’est un collectionneur fasciné par l’Extrême-Orient et le défenseur des impressionnistes : à sa mort, en 1911, il lègue ses collections au musée du Louvre.

    Fils unique de Nissim de Camondo et d’Élise Fernandez, Moïse de Camondo est né à Constantinople en 1860. Il rejoint son cousin Isaac au sein de la banque familiale et à la mort de ce dernier en 1911, il en prend la direction. Il épouse, en octobre 1891, Irène Cahen d’Anvers, fille du banquier Louis Cahen d’Anvers et de Louise de Morpurgo. De leur mariage naîtront deux enfants, Nissim en 1892 et Béatrice en 1894. Moïse de Camondo, adepte du yachting, de la course automobile et de la chasse à tir est avant tout un collectionneur : passionné par le XVIIIe siècle, il fréquente les grands antiquaires parisiens et achète aussi dans des ventes aux enchères. Il décède en 1935 en léguant son hôtel particulier à l’État Français, Nissim de Camondo ayant été abattu en 1917 en Lorraine allemande. Béatrice de Camondo, qui épouse Léon Reinach dont elle a deux enfants, sera déportée avec toute sa famille : ils meurent en Pologne en 1943 (Pour les évènements familiaux voir, (de) Gary, Marie-Noël,Le Musée Nissim de Camondo. La demeure d’un collectionneur, Les Arts Décoratifs, Paris, 2007, 320 p. et Assouline, Pierre,Le dernier des Camondo, Gallimard, Paris, 1999, 338 p.).

    Les Camondo contribuent pleinement au triptyque « banque-industrie-diplomatie » (Thobie, Jacques,LaFrance Impériale (1880-1914), Megrelis, Paris, 1982, 326 p.) du capitalisme parisien dans les pays extra européens : il se caractérise par les excroissances de sociétés françaises de négoce de gros, par le développement de sociétés internationales orientées vers l’exploitation des mines et l’industrie de première transformation et surtout par l’essaimage de sociétés de services dans l’obtention de concessions de gestion déléguée de services collectifs (ports, eaux, tramways, gaz et électricité).

    Certes, les Camondo continuent les opérations monétaires, bancaires et financières dans l’Empire ottoman, soit par le biais de la « Société générale » soit grâce à la « Banque Impériale Ottomane » : ils fédèrent ainsi des intérêts franco-britanniques pour développer des activités de banque commerciale et de banque financière face au déploiement des banques allemandes dans un Empire où se côtoient et s’affrontent les intérêts des diverses puissances européennes depuis qu’en 1889, les Allemands contrôlent la « Société des chemins de fer de l’Anatolie » (Thobie, Jacques, Intérêts économiques, financiers et politiques dans l’Empire ottoman (1895-1914),, n°86, 1974, p. 43-53.).

    Mais surtout, ils nouent désormais une chaîne active entre les activités de crédits, de participation aux investissements directs et les émissions de titres. Après 1888, à côté d’alliés (Haute banque traditionnelle) et avec de nouvelles banques de dépôts (type Crédit lyonnais), ils fondent une « Nouvelle haute Banque  » (Bonin, Hubert, French investment banking at Belle Époque: the Haute Banque,Cahiers du Gretha, 15 octobre 2007.) mais intervient de plus en plus dans les grandes affaires (comme le cartel du cuivre ou la Compagnie française des mines d’Or) et utilise par intermédiaires associés le dépôt des petits épargnants des grandes banques de dépôts. Ainsi, ils refondent le « Comptoir d’escompte de Paris » qui deviendra le « Comptoir national de Paris » qui sera à l’origine de « BNP-Paribas » . Dorénavant, par l’adhésion à ces syndicats formés par divers banquiers, s’ils achètent toujours des titres d’emprunts d’état dont ils garantissent l’émission, ils négocient et surtout font circuler des titres de sociétés minières ou industrielles pour leurs propres comptes, pour le compte de banquiers dont ils gèrent les dépôts à Paris ou pour leurs associés à qui ils rétrocèdent des fractions de leurs parts. Enfin, ils acquièrent des participations dans la formation des capitaux de sociétés nouvelles et impliquées dans de nouvelles activités par le truchement des parts de fondateurs ou simplement par l’achat d’actions. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, on retrouve les Camondo à la tête de compagnies internationales, comme les Ciments Portland, la Raffinerie de sucre d’Égypte, la Société du Naphte de Bakou, la Compagnie des Eaux de Constantinople ou les Chemins de fer portugais. En 1894, ils transfèrent le siège de leur banque de Constantinople à Paris : ce qui deviendra la succursale stambouliote, fermera ses portes seulement  en 1917.

    L’espace temporel et spatial

    Si on résume les grandes étapes de l’histoire de la banque Camondo au travers de leurs livres comptables, on observe d’abord en 1834 l’ajout du prêt de cour au grand négoce, puis en 1869 un premier élargissement avec la fin du monopole des activités de grand argentier du Sultan ottoman et enfin en 1888 un second élargissement avec l’acceptation d’une intégration par le truchement d’associations entre banquiers pour, au-delà du prêt aux États, fournir des capitaux aux industriels. Ce triple réajustement se traduit par un espace géographique en constante dilatation alors que les associés importants restent des composants familiaux.

    1. 1834-1868 : une banque méditerranéenne

    De 1834 à 1868, les Camondo sont à Galata où ils font du commerce (ambre, indigo, coton, drap, laine, mohair, plomb, mais aussi blés, riz et farines), de la manufacture (en vendant au Ministère de la guerre turc des draps ou à la Marine Impériale, des briques, des huiles et des cuirs), de la location immobilière (essentiellement à Péra où ils possèdent des boutiques, des immeubles, des magasins et des dépôts) et de la finance (ils prêtent à un grand nombre de Pachas et de Beys à Constantinople, à Damas et en Égypte).Durant cette période, les grands livres réunissent des comptes généraux représentant cette quadruple activité. Mais déjà, on remarque un élargissement des horizons avec des participations dans les emprunts autrichiens (et mexicains avec Maximilien de Habsbourg), danubiens, espagnols et lombards et des relations avec des courtiers londoniens (Stern) ou la « Anglo Austrian Bank » (spécialisée dans les prêts au gouvernement turc) sans oublier des participations aux constructions du chemin de fer de Pampelune à Bucarest.

    Toutefois, le poids des prêts au Gouvernement turc reste écrasant : en 1875, le seul compte de la « Dette générale » rassemble 40 millions de piastres autant que le compte personnel des Camondo à Constantinople (46 millions de Piastres), mais les Camondo possèdent déjà à la Banque de France 35 millions de francs, outre deux comptes de 10 millions de francs en Espagne et à Londres (à comparer avec les 150 millions de francs des Rothschild (Bouvier, Jean,Les Rothschild, Fayard, Paris, 1967, 352 p.) ). Depuis 1856, les grands livres et les journaux sont écrits en italien et achetés à Livourne (auparavant, ils étaient en langue ladino). En 1868, un premier grand livre est rédigé à Paris où les comptes les plus importants restent toujours ceux des prêts aux Gouvernements turc et égyptien (leurs formes sont extrêmement variées, volatiles et en constante recomposition avec la participation des Oppenheim d’Alexandrie: la dette est dite « générale, unifiée, spéciale ou nouvelle »).

    2. 1868-1888 : une banque mitteleuropéenne

    De 1868 à 1888, s’accumule une seconde série de livres parisiens où l’emportent encore très largement les activités de prêts à divers États européens (France, Italie, Espagne et Europe du Centre et de l’Est) et à de nombreuses grandes villes européennes (Paris, Bruxelles ou Madrid). Souvent, l’intermédiaire reste encore Oppenheim (branche allemande) pour l’Empire autrichien et toujours les Halfon ou les Alfassa pour les principautés danubiennes et les Allatini pour les pays méditerranéens. Toutefois, apparaissent aussi quelques comptes de participations à des syndicats industriels européens (du Portugal à la Russie), mais ce sont encore des sommes dérisoires (au mieux quelques dizaines de milliers de francs) et la participation à quelques compagnies de navigation transatlantiques et d’équipements portuaires en Amérique du Nord (Canada et USA) reste symbolique (au mieux quelques milliers de francs) au moins jusqu’en 1875. Journaux et grands livres à Paris sont désormais écrits en français. Il faut reconsidérer cette période de reconsolidation parce que sans doute les déboires à peine évités par les Camondo au Congrès de Berlin sonnent le glas de la primauté des affaires de collaboration économique entre Vienne et Constantinople, cause première depuis le milieu du XVIIIe siècle de la fortune familiale grâce à l’intensification de l’abaissement des droits de douanes et au commencement de la création du grand marché économique mitteleuropéen avec pour proche voisin les périphéries balkaniques de l’Empire ottoman.

    3. 1888-1925 : une banque mondiale

    Après 1888, s’ouvre une troisième période importante par l’espace géographique embrassé, mais sans doute plus classique et simplement révélatrice d’une première mondialisation financière où désormais la participation à un cartel de courtiers ou coulissiers l’emporte sur la stratégie du capitaine au long cours.

    Les activités à Constantinople ne sont plus que commerciales et immobilières et parfois manufacturières : on remarque ainsi une série de comptes pour « Frais de fabriques et de magasins » de Manchester à Francfort en passant par Milan, mais les sommes restent modestes et concernent souvent des huiles ou des tapis et l’on observe surtout un compte général intitulé « Immeubles » et un second « Courtage de location ». Camondo est une sorte d’agent immobilier dont toutefois les activités au regard des sommes brassées à Paris et à Londres sont insignifiantes (seulement quelques centaines de milliers de piastres vers 1888). Néanmoins, s’accumulent des journaux et des grands livres analytiques à propos des divers composants immobiliers: chambres, appartements, dépôts, magasins, boutiques, terrains, oliveraies. On y note aussi la briqueterie (qui est l’activité qui financièrement semble la plus importante -2 millions de piastres-) et quelques reliquats d’avances à plusieurs Beys de très faible ampleur (au plus quelques milliers de piastres). Ces activités à Constantinople se poursuivent au moins jusqu’en 1917, mais le nombre des folios de chaque livre diminue régulièrement (de 350 à 90) après 1888.

    En revanche, se concentrent à Paris de 1888 à 1925 les activités autrefois localisées à Constantinople et traitant d’affaires de prêts aux gouvernements ou aux villes et de participations aux Syndicats de sociétés de transport (chemin de fer, canaux ou ports) en Europe centrale et danubienne (de la Bosnie à la Roumanie), en Europe de l’Est jusqu’en Russie, en Turquie et en Égypte.

    En conséquence, dans les grands livres et les journaux parisiens s’accumulent les vieilles activités méditerranéennes, autrichiennes et turques et de nouvelles activités localisées dans les pays de l’Europe de l’Ouest, Outre-Atlantique et jusqu’en Extrême-Orient. À partir de 1890, les participations aux activités autres que les prêts (emprunts, obligations, actions) aux gouvernements semblent désormais l’emporter : en réalité, si on regarde les chiffres des principaux comptes on a déjà l’impression que, dès la Conférence de San Stefano de 1878 où les Camondo ont vu reconnaître avec très une grande difficulté leur position de créancier privilégié à l’égal de la Banque Impériale Ottomane dans la question de la « Dette flottante Ottomane », désormais ils se doivent de diversifier de plus en plus leurs activités.

    D’abord, puisqu’ils ne sont plus les Juifs de cour de Constantinople, ils prêtent aux autres gouvernements européens entre 1875 et 1890, mais surtout après 1893 leurs répertoires bien qu’encore alphabétiques classent leurs comptes financiers en emprunts (et variances) et en participations (ou sous-participations par le biais d’achats d’actions dans de grandes banques de dépôts qui font encore de grandes affaires comme le Crédit Lyonnais ou la BNP) à des syndicats miniers et industriels et de transports. Ces participations ne font que grossir : de fait, journaux et grands livres redoublent leur nombre de folios (de 400 à 850). Ainsi à Paris, comme à Constantinople pour la gestion des immeubles, s’accumulent des livres analytiques : ce sont les livres des titres et des dépôts.

    Entre 1892 et 1917, on ne constate aucun ralentissement des activités parisiennes et se confirme le confinement des activités à Constantinople dans le seul immobilier urbain. À Paris et à Londres (par l’intermédiaire des Cahen, des Ellissen et de la « joint Bank »), les Camondo passent des investissements dans les chemins de fer (Usa, Argentine, Indochine et Chine) aux investissements dans l’équipement avec l’extension des réseaux pour l’éclairage, le gaz, les eaux et le téléphone en ville (de l’Argentine au Canada et de l’Espagne à la Russie) et ajoutent aux prêts aux banques nationales ou provinciales des États Américains (latins et nordiques), des avances aux colonies françaises en Afrique, à la Russie et à la Chine, outre la ruée à la capitalisation des mines d’or du Cap à l’Alaska alors que les interventions en Europe centrale se limitent désormais aux nouveaux États issus de la décomposition de l’Empire ottoman (Grèce et Égypte) et que les participations en Méditerranée occidentale reculent lentement au Portugal, en Espagne et en Italie. En revanche, l’intéressement aux grandes activités industrielles (aciéries, forges, pétroles, mines de cuivre et de phosphate), après une tentative élargie et multiforme entre 1892 et 1896 au moins dans le nombre si ce n’est dans les sommes versées, stagne malgré un regain seulement après 1908 pour les nouveautés ultimes (industries photographiques ou électriques ou automobiles ou chimiques). L’investissement direct -sans le passage par la syndicalisation- désormais se cantonne dans le seul équipement des villes européennes, puis latino-américaines ou extrême-orientales (infrastructures en tramways, éclairage et chauffage, équipement en eau et finalement construction), mais s’il demeure un fait permanent, il devient minoritaire.

    Une Haute banque stable

    « On désigne sous le nom de Haute banque un certain nombre de puissantes maisons qui sont l’apanage d’un petit nombre de familles. Fort riches par elles-mêmes les maisons de Haute banque opèrent avec leurs propres capitaux et ceux de quelques gros clients parents ou amis de leurs chefs ; elles ne recherchent guère les dépôts. Elles s’occupent seulement de financer d’importantes affaires quelles contrôlent ou dirigent et dont elles conservent les titres jusqu’à ce que les résultats acquis leur permettent de les lancer avec bénéfices sur les marchés publics » (Burckhardt, A.,La grammaire de la Banque : Traité pratique des opérations de Banque, Flammarion, Paris, 1928, p. 24.). C’est pourquoi, dans toutes ses opérations, le haut banquier ne fait que substituer un débiteur à un autre (Sabatier, Arthur,De la haute banque, Paul Dupont, Paris 1863, p. 35.). Poser le problème de l’appartenance à la « Haute banque », c’est finalement se demander si les Camondo tiennent simplement leurs comptes et les cordons de leur bourse pour savoir combien investir ou si les résultats comptables leur permettent de faire des choix financiers, entrepreneuriaux ou organisationnels. Pour répondre vraiment à cette question, il faudrait pouvoir associer les écritures comptables (journaux, grands livres, livres analytiques) aux écritures extra-comptables (correspondance et surtout dossiers ou études d’affaires réalisées ou pas avérées).

    1. Le compte : un outil stratégique ?

    Dans les archives Camondo malgré l’absence de dossiers d’affaires, à côté des livres comptables, on remarque des coffrets de correspondances conservés seulement de 1908 à 1917. Leur attrait semble limité, car il ne s’agit pas de dossiers d’études avec écrits et réflexions de la part du banquier, mais simplement la mise en liasse de la correspondance reçue. En général, dans ces correspondances, on remarque de simples confirmations d’un ordre d’achat ou de vente et parfois la convocation à une assemblée des actionnaires pour un partage des dividendes. Très souvent, on note que les Camondo achètent de très grosses coupures (emprunts latino-américains) et revendent parfois le même jour de petites coupures en faisant un gain significatif parce que cumulatif : ainsi ils découpent des coupures de 1000 francs, en lots de 100 francs. De même, ils recherchent un panel varié à risque dilué en participant à des emprunts peu risqués en Europe occidentale (Allemagne ou Autriche avec seulement 3% d’intérêt) et à des emprunts plus risqués dans les pays extra-européens où l’intérêt peut grimper jusqu’à 6% (Chine ou Japon). Le maximum d’intérêt provient toujours de participations à des Sociétés de mines d’or (souvent en Afrique du sud) avec des taux de 15 à 17%. Cette correspondance présente aussi l’avantage d’indiquer l’unité monétaire et la valeur de l’action ou de l’obligation à l’achat et à la vente alors que, dans le registre comptable synthétique, ne figurent que le capital total investi et la somme des intérêts annuels.

    En outre, dans ses correspondances, quand une affaire ne répond pas au gain escompté, le courtier ou le correspondant associé ajoute au papier officiel imprimé (achat de titre, répartition de dividende, bordereau, coupon) en écriture cursive une observation. Soit il s’agit de persévérer malgré des titres non vendus, parce qu’un nouvel emprunt sera très prochainement émis avec des actions privilégiées en faveur des détenteurs anciens de titres, soit il s’agit d’expliquer un dividende affaibli par une hausse momentanée des frais de productions comme la hausse d’une matière première par suite d’une guerre déjà achevée. Il faudrait enregistrer systématiquement ces explications et accumuler ainsi des comptes estimés à la hausse ou à la baisse et les retrouver dans les registres comptables pour voir si effectivement les comptes qui baissent ou augmentent dans leur évaluation baissent ou augmentent aussi dans les intérêts rapportés et dans les sommes immobilisées ou disparaissent.Grâce à ces observations au bas ou au revers d’un document purement administratif ou financier, le rôle des informations chez Camondo paraît primordial et confirme l’intérêt d’un bon réseau d’informations en matière de choix financier. Sans doute, les Camondo paraissent bien tenir leurs comptes et ne pas vraiment utiliser le résultat de ses comptes pour orienter leurs choix. Les Camondo ne semblent donc pas opérer des choix à partir de comptes d’exploitation et ne dépassent pas le stade des livres synthétiques et analytiques pour intégrer dans un seul grand livre centralisateur quelques comptes analytiques stratégiques et variables en fonction du type d’affaires, du temps et du lieu. 

    2. Le compte : un outil organisationnel ?

    La comptabilité peut être aussi non seulement à la genèse de la prise de décision, mais à la base de l’organisation et de la réorganisation régulière de l’entreprise souvent en fonction des comptes d’exploitations effectifs comparés à des comptes préventifs d’exploitation : pour une bonne gestion, aucune discordance entre les deux types de comptes ne doit être notée. Il s’agit non plus de contrôler la gestion, mais de l’orienter ou de la réorienter périodiquement.

    Il faut observer que pour un agriculteur ou pour un industriel, le compte cultural ou le compte de fabrication et le tableau de bord aident pour la détermination du choix stratégique et pour le choix du meilleur produit. Quand un propriétaire n’est pas seulement un rentier, mais est aussi un capitaliste et un industriel et surtout un acteur négociant son profit avec des partenaires associés nommés métayers ou ouvriers co-intéressés, il lui faut rendre des comptes et le chiffre devient essentiel (Rossi, Marie-Lucie,Les entreprises de culture améliorante ou l’aménagement du terroir en plaine de Reggio Emilia à l’époque du libéralisme concurrentiel (1748-1922): pour une modélisation du management Spalletti, EHESS, Paris, 2006, 1399 p.).. Dans une banque de dépôts, l’usage du chiffre peut aussi déterminer le sens d’une action dans l’équipe dirigeante et être une aide à la réorganisation de l’entreprise quand il s’agit de rendre des comptes à des actionnaires ou à des déposants ou quand il s’agit de comparer les résultats de diverses agences à mettre entre elles en concurrence. Alors, un système d’indicateurs est mis en place pour aider à la conduite et à la maîtrise des opérations économiques pour une mise en œuvre du pilotage stratégique de l’entreprise. Les chiffres deviennent les signaux de la bonne gestion de la banque et la remontée de chiffres choisis permet de comprendre et de construire la performance de l’activité (Sponem Samuel, Pezet, Anne, Why and how a CEO uses Financial and Non financial Data? A Study of the Emergence of Tableau de Bord at the Crédit Lyonnais (1870-1890), 14e Journées d’histoire de la Comptabilité et du Ménagement, 2009, Paris.). Si les Camondo interviennent dans la gestion de la BNP (banque de dépôts), c’est seulement en qualité de simple sous- participant à un syndicat patronné par la BNP, aussi ils ne reçoivent que des informations concernant le nombre de part ou d’actions qui leur a été réservé : ils ne participent pas directement à leur gestion quotidienne des comptes de dépôts (chèques) sauf à intervenir lors des assemblées générales annuelles lors de la répartition du dividende.

    Donc, chez le banquier d’affaires qui n’a pas d’agences et qui ne s’intéresse pas à la gestion de la banque d’escompte et de dépôt, la comptabilité reste seulement et encore une simple tenue de compte. Le compte reste seulement un état de la situation et des réserves pour agir, étant entendu que les décisions basent surtout sur le secret des affaires et le réseau des informations réservées.

    3. Les types d’opérations

    Les livres comptables révèlent les opérations réalisées. On observe essentiellement, outre les opérations de négoces de gros de marchandises et les opérations de locations d’immeubles, des opérations financières qui relèvent de l’avance à court terme, de la garantie, du placement et des transactions sur des valeurs mobilières et enfin de la participation à des sociétés minières ou industrielles.

    Opérations courantes : crédits d’escomptes et avances à court terme

    Ce sont des opérations anciennes et majoritaires qui deviennent de moins en moins importantes.

    1) Avances à des États (Empire ottoman, Autriche, Brésil, Égypte, Italie, Espagne, Portugal ou Russie).

    2) Crédits à des banques et à des organismes financiers (Banque nationale d’Argentine, Banque de Belgique, Banque de la province de Buenos Aires, Banque d’Espagne ou Banque hypothécaire d’Espagne).3) Avances à des sociétés diverses (Compagnie des chemins de fer des Asturies, Galice et Léon, De Beers Diamond Mining Company, Compagnie générale française de tramways, Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama ou Compagnie universelle du canal maritime de Suez).

    Opérations financières : garantie d’émission, placement et transactions sur des valeurs mobilières

    Ce sont d’abord et surtout des titres d’emprunts aux États et de plus en plus aux compagnies ferroviaires alors que les emprunts aux sociétés minières ou industrielles restent souvent sporadiques et toujours marginaux. Ils sont initialement européens et progressivement s’étendent aux continents américain et asiatique et enfin au monde russe. En général, la Haute banque agit le plus souvent comme un groupe de banquiers réunis en syndicats qui prennent à titre forfaitaire la totalité de l’émission. Elle reçoit les titres et les écoule au moment jugé le plus favorable soit par vente directe à sa clientèle soit par négociation en bourse. Le bénéfice consiste dans la différence entre le prix payé à l’emprunteur et celui auquel il pourra se débarrasser de son papier (Burckhardt, A.,La grammaire de la Banque : Traité pratique des opérations de Banque, Flammarion, Paris, 1928, p. 168.). Les opérations en bourse se font au comptant soit immédiatement ou à terme. Dans un marché à terme, le vendeur espère une baisse et il rachètera les titres vendus à un cours inférieur et l’acheteur espère une hausse qui lui permettra de revendre à un cours supérieur les titres achetés (Burckhardt, A.,La grammaire de la Banque : Traité pratique des opérations de Banque, Flammarion, Paris, 1928, p. 177.). Les marchés à terme se divisent à leur tour en marché fermes qui obligent définitivement l’acheteur et le vendeur et en marchés à primes où il est stipulé que l’acheteur pourra, à l’arrivée du terme, exiger ou dénoncer le marché en payant une somme fixée à l’avance (prime). Pour le vendeur, la prime représente le maximum de son bénéfice.

    1) Emprunts d’États

    - 3%, 6% et 5% de la Turquie, 5% et 4% de l’Autriche, 7% de l’Égypte, 6% de l'Espagne, 5%, 3% et 4% du Portugal, 4% de la Roumanie, 5% de la Bulgarie, 4% de la Serbie, 6% et 3% du Mexique, 6% et 5% de l’Argentine, 5% des États-Unis, 4,5% de l’Inde, 3,5% de l’Indochine, 4,5% du Japon, 5,5% de la Chine ou 4%, 5% et 3% de la Russie.

    2) Emprunts de banques et d’établissements de crédit

    - Société du crédit foncier d'Autriche, Crédit foncier Égyptien, Banque hypothécaire d’Espagne, Banque nationale de Grèce ou Banque d’Argentine.

    3) Emprunts provinciaux et départementaux

    - 6% et 5% de la province de Buenos Aires ou 6% de la province de Santa Fe.

    4) Emprunts communaux

    - 3% de la ville de Madrid, 3% de la ville d’Anvers, 2,5% de la ville de Bruxelles ou 4,5% ou 6% de la ville de Buenos-Aires.

    5) Emprunts de compagnies ferroviaires

    - Compagnie des chemins de fer andalous, Compagnie des chemins de fer du nord de l’Espagne, Compagnie des chemins de fer de l’ouest de l’Espagne, Compagnie des chemins de fer des Asturies, Galice et Léon, Northern Colonies Railway of Santa Fe, Imperial Central Brazilian Bahia Railway Company, Compagnie générale des chemins de fer brésiliens, Imperial Brazilian Natal y Nova Cruz Railway Company ou Compagnie impériale du chemin de fer de Rio-Grande-do-Sul.

    6) Sociétés minières et métallurgiques

    - Société des mines du Laurium hellénique, Compagnie des mines du Rio Tinto ou Société métallurgique de l’Oural-Volga.

    7) Sociétés diverses

    - Société de la régie des tabacs de Turquie, Société internationale du canal maritime de Corinthe, Gaz et eaux, Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage, Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, Compagnie universelle du canal maritime de Suez ou Compagnie générale des téléphones.

    Participations à des sociétés anonymes, des syndicats d’étude et des sociétés en commandite

    Ce sont surtout des achats d’actions auxquels il faut joindre des parts de fondateurs. Lorsqu’une société est créée, son capital est représenté par des actions d’un certain nominal, titres à revenu variable qui participent à la bonne ou à la mauvaise fortune de l’affaire. Le nominal d’un titre est sa valeur par rapport au capital, toutefois le cours de l’action sur les marchés n’a qu’un lointain rapport avec ce nominal : elle suit la situation de la société et ses perspectives d’avenir. Les bénéfices réalisés sont répartis suivant une proportion déterminée par les statuts (dividende). Lorsqu’une société a besoin d’argent, souvent afin de ne pas abaisser les dividendes, elle emprunte et donc émet des obligations ou des bons dont le revenu est fixe et dont les intérêts ou coupons sont payés à des échéances régulières : elles seront amorties par tirage au sort en un certain nombre d’années. Enfin, la part de fondateur est un titre sans valeur nominale qui permet seulement de participer aux super bénéfices après que coupons, dividendes, réserves et amortissements ont été payés, outre un droit de participation à l’excédant d’actifs au moment de la liquidation de la société (Miquel, J.-A.,Manuel de finance et de bourse, Dunod, Paris, 1938, p. 23-26.).

    1) Banques et organismes bancaires

    - Société générale du crédit foncier d’Autriche, Crédit foncier Égyptien, Banque Hellénique de crédit général, Banque centrale du commerce et de l’industrie ou Banque d’escompte de Paris.

    2) Sociétés ferroviaires

    - Compagnie des chemins de fer du nord de l’Espagne, Compagnie française pour la construction de matériel roulant, Société d’études des chemins de fer économiques, Compagnie générale des chemins de fer de la province de Buenos-Aires, Canadian Pacific Railway Company ou Société d’étude de chemins de fer en Chine.

    3) Sociétés minières

    - The Gold Mines Investment Company, Central Mining and Investment Corporation Ltd ou Société des fondateurs de la compagnie générale du Zambèze.

    4) Sociétés diverses

    - Société fermière du monopole des tabacs en Serbie, Société générale d’électricité ou Société générale pour l’industrie en Russie.

    Conclusion

    Vers 1894 après la fermeture des affaires financières à Constantinople ou dès les lendemains de la Convention de San Stefano (1878) où ils voient avec difficulté reconnues leurs créances sur la dette flottante ottomane et écarté de fait leur quasi-monopole malgré leur déplacement de Constantinople à Paris, les Camondo n’ajoutent ni ne remplacent directement l’escompte ou le dépôt aux affaires. Aussi, leur comptabilité encore commerciale qui suivait la partie double à l’italienne, n’utilise pas la partie double à l’américaine qui est une évolution vers un système comptable centralisateur que l’on retrouve entre 1884 et 1904 dans les grandes entreprises agricoles italiennes et dans les banques des caisses d’épargne de Milan à Rome (Bellini, Clitofonte,Scrittura doppia americana detta a Giornale Mastro, Milan, Hoepli, 1909, p. 152.) juste avant les premiers pas de la mécanographie alors que les grandes entreprises industrielles de l’Europe du Nord-Ouest semblent, au moins jusque vers 1905, également en retard parce que l’ingénieur reste un technicien isolé dans les sièges de production sans influence sur les choix des sièges centraux malgré les progrès du tableau de bord (Pezet, Anne, Les « french Tableaux de bord » (1885-1975), l’invention du microscope managérial, 12e Journées d’histoire de la Comptabilité et du Ménagement, Lille, 2007.).

    Néanmoins, malgré cette immuabilité de leur organisation comptable, les Camondo grâce à leur réseau informatique et à leur participation massive aux syndicats suivent toutes les innovations politiques, diplomatiques et économiques pour élargir leur rayon d’action du négoce de l’or fin au matériel électrique de Constantinople à Paris et de Londres à New York (Leautey, Eugène,Comptabilité de banque et de bourse, Béranger, Paris, 1910, p. 20.). Ainsi, parce qu’ils ont su comprendre l’arrivée des financiers occidentaux (en 1863) et la participation massive des petits épargnants (après 1888) sans pour autant s’y intégrer, les Camondo restent pour les Parisiens de la Belle Époque les derniers « Comtes des mille et une nuits » (Voir le roman de Moati, Nine,Hannah et les derniers Ottomans, Ramsay, Paris, 2006, 309 p.).

  • Rédacteur

    Révision et compléments par Marie-Lucie Rossi, docteur en histoire, en 2009.

  • Mots matières
    établissement de crédit
  • Lieux
    TURQUIE, Paris (Paris, France)

Pour aller plus loin

L'inventaire :
Camondo, banque.
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